L’ANTHROPOMORPHISME OU LE DÉNI DU CHIEN

 

L’anthropomorphisme est le fait d’attribuer à un animal des caractéristiques du comportement, de la morphologie ou de la pensée humaine à d'autres entités comme les animaux. L’anthropomorphisme dont nous faisons preuve envers le chien est une déviance propre aux sociétés occidentales. Le phénomène se généralise et représente un vrai danger pour sa santé mentale et physique. En effet, l’anthropomorphisme réduit l’espérance de vie du chien. Il est un frein à une relation interspécifique saine. Se comporter avec son chien comme on le ferait avec un enfant et lui prêter des intentions humaines revient à donner une place trop importante à notre propre humanité. C’est ignorer la nature même du chien et renier son animalité. L’irrespect de l’espèce est alors inconsciente. Les gens concernés diront adorer leur chien et ils ne mentent pas. Mais il faut quand même l’entendre : projeter sur le chien ses propres besoins ou ses propres pensées est maltraitant, comme attendre de lui les particularités qui nous accommodent. Pour établir la liste de « ce que le chien ne fait pas » ou de « ce que le chien n’est pas », j’ai repris les croyances ou les mauvaises manies observées régulièrement dans mon travail ou dans mon quotidien.

 

LE CHIEN EST INCAPABLE DE JUGEMENT

 

Il est en effet dépourvu de conscience morale. Il ne connaît pas la différence entre le bien et le mal qui sont des notions basées sur des principes religieux, culturels ou philosophiques. Par contre, le chien est un fin observateur. Il apprend par l'expérience à décoder nos humeurs et nos intentions sur nos traits et notre gestuelle. Il sait aussi anticiper l’humeur ou l’émotion du moment grâce aux phéromones que nous dégageons et dont nous n’avons pas conscience. Il ne peut donc pas savoir qu’il a fait des bêtises quand nous rentrons du travail (d’autant qu’elles ont été commises il y a plus de quelques secondes). Il a par contre appris qu’il sera réprimandé car cela s’est déjà produit ou parce que vous portez la colère sur votre visage ou votre posture. Connaît-il la raison de votre mécontentement quotidien ? Rien n’est moins sûr. Pour lui, cela revient à être houspillé pour rien. Ce malentendu distend le lien homme-chien. Sur le plan de la communication interspécifique, l'homme a beaucoup de chemin à parcourir. La grande majorité des études comportementales révèle en effet que les familles ne savent absolument pas comment le chien comprend, apprend, retient.

 

 

AUCUN CHIEN NE DOIT L'OBÉISSANCE "AU DOIGT ET À L'OEIL"

 

C’est une expression trop souvent utilisée. La collaboration dans la complicité est possible mais elle se mérite. C’est un concept que beaucoup d’humains a du mal à admettre. L’écoute et l’exécution naturelle des demandes s’obtiennent au fil du temps lorsque la relation homme-chien a été privilégiée dans le quotidien. Elle se construit en milieu réel, dans la douceur, la patience et la satisfaction des besoins primordiaux (qui ne sont pas les mêmes que les nôtres). N’exigeons pas l’obéissance aveugle quand le quotidien est pauvre et que rien n’est offert en retour. Le chien est intelligent et ce genre de relation peu élaborée ne perdure pas. Le chien devrait toujours être appréhendé comme un individu à part entière qui apprend chaque jour. C’est un animal non-humain qui a droit au respect de son intégrité physique et morale. C’est seulement là qu’il pourra commencer à exprimer son potentiel et son véritable intérêt pour vous.

 

 

LE CHIEN NE SE VENGE PAS

 

Cette croyance revient à projeter sur lui des intentions propres aux humains. Elle débouche inévitablement sur des punitions incomprises. Si votre chien s’ennuie quand vous n’êtes pas là, il vit forcément mal la solitude. Il tentera alors d’assouvir son besoin d’activité en se trouvant lui-même une occupation alternative logée dans les jeux de destruction. Il ne le fait pas contre vous. Beaucoup de vidéos témoignent ainsi que certains chiens n’expriment aucune colère lorsqu’ils réduisent les coussins en lambeaux, lorsqu’ils vident la terre des plantes ou lorsqu’ils éventrent les canapés. Ils jouent, ils s’occupent avec les moyens qu’ils trouvent. J’ai vu un bichon frisé détruire le plaid du fauteuil dans une grande sérénité. Il passait le temps. Et même dans la colère, l'idée de vengeance n'appartient pas au chien. Si le chien est malpropre en l’absence de sa famille, il exprime aussi un problème. Le punir c’est agir sur le symptôme, pas sur la cause. Il est essentiel pour modifier les comportements de cerner l’émotion ressentie avec justesse. Seul un professionnel oeuvrant sur les bases de la psychologie pourra vous y aider.

 

 

AUCUNE RACE DE CHIEN N'AIME PARTICULIÈREMENT LES ENFANTS

 

Le gêne de l’amour des enfants n’existe pas. Le chien ne conceptualise pas l’humain comme il conceptualise sa propre espèce. Un chien socialisé correctement reconnaît en tant que chien plus de 450 races allant du Chihuahua au Dogue allemand. C’est prodigieux. Par contre, cette capacité n’est pas transposable sur l’humain. Pour être plus claire, le chien ne sait pas que le bébé que vous tenez dans vos bras est un être humain. De même, s’il n’a pas été imprégné dans les premières semaines de vie, un enfant qui se déplace à quatre pattes pourra ne pas être reconnu par le chien en tant qu’humain. Pour la plupart des chiens, un humain est un adulte qui se tient debout et qui marche sur deux pattes. J’ai vu des chiens réagir aux femmes ou au hommes car ils n’ont vécu pendant des mois qu’avec les uns ou les autres. Certains chiens se montreront réactifs à la vue d’une personne âgée qui s’appuie sur une canne (posture méconnue, démarche altérée, etc.). D’autres chiens auront peur de l’humain obèse dont la démarche est chaloupée. Certains encore éviteront ou agresseront les personnes de couleur ou qui portent un chapeau. La socialisation du chien à l’homme nécessite que durant les premières semaines de vie, le chiot ait rencontré un maximum de « sortes d’humains » afin qu’il les reconnaisse tous en tant que tel. Le travail de l’éleveur dans la sélection des chiens et dans les premières semaines d’existence est primordial. Il devra être sérieusement poursuivi par la famille adoptante. Un chiot peut présenter certaines aptitudes pour s'habituer à la présence d'enfants. Mais affirmer que certaines races "aiment les enfants" est totalement absurde.

 

 

AUCUNE RACE DE CHIEN N'AIME PARTICULIÈREMENT LA SOLITUDE

 

Le chien est un animal social. Il est honteux de lire sur certains sites d’éleveurs que leurs chiens s’accommodent facilement de rester seuls. En tant qu’être social, le chien a besoin de faire des rencontres canines. Il a également besoin d’interactions variées avec l’homme. Le chien ne s'habituera à rester seul que si lui on lui a appris à l’être et à la condition sine qua none que ses besoins quotidiens ait été assouvis. C'est tout cela qui rendra la solitude acceptable.

 

 

IL N'EXISTE PAS DE RACE DE CHIEN QUI N'AIT PAS BESOIN D'ACTIVITÉ

 

C’est un mensonge d’avancer que certaines races affectionnent de ne rien faire. Jamais le chien n’aura « de la chance de ne rien avoir à faire de ses journées ». C’est une idée qui arrangerait peut-être ceux qui veulent un chien sans avoir à s’investir. Mais la réalité est que le chien est un animal qui bouge. C’est un être actif pétri d’intentions et de velléités. Bien sûr certaines races ont de grands besoins. Cela ne signifiera jamais que les autres n’en ont pas. En attendant que les éleveurs sélectionnent sur l’immobilité totale, il serait souhaitable de ne pas attendre du chien des aptitudes surnaturelles. Par contre, certaines lignées ont bien des aptitudes physiques et mentales particulières qui appellent des activités spécifiques répondant à des patrons-moteurs irrépressibles.

 

 

LE CHIEN N'EST PAS UN ANIMAL QUI A BESOIN D'ÊTRE PORTÉ

 

C’est un animal terrestre. Son éthologie le place au sol, pas dans nos bras, quelque soit sa taille. En le portant systématiquement lors des balades, nous atrophions son activité locomotrice. Nous devenons des inhibiteurs sociaux. Nous l’empêchons d’aller à la rencontre des siens, des humains, du monde dans lequel il vit. Nous l’isolons dans la peur. Nous en faisons un être incapable de communiquer sereinement. Voilà pourquoi le chien ne devra être porté que dans des cas exceptionnels (danger imminent, fatigue du chiot, blessure, etc.).

 

 

LE CHIEN NE PEUT ÉVOLUER SAINEMENT SANS NOUS

 

 

C'est la raison pour laquelle adopter un chien relève d’une grande responsabilité. Ce n’est pas un acte anodin. C’est un animal qui demande du temps et de l’argent. Le chien domestique est un être dépendant et attaché. Il a perdu toute capacité d’autodétermination à cause de l’auto-domestication. Si son humain d’attachement l’encadre comme un coach ou comme un guide, le chien se trouvera entre des mains bienveillantes qui développeront son potentiel personnel. Par contre, si l’humain se pose en maître autoritaire qui exige sans jamais rien offrir en retour, il fera de son chien un animal annihilé et malheureux. Ainsi la plus belle preuve d’amour envers nos chiens n’est sûrement pas de les appréhender comme nos enfants en leur apportant les mêmes soins. On aime sainement un chien en développant quotidiennement son autonomie et son potentiel tout en préservant sa précieuse animalité.

 

 

Audrey VENTURA

Comportementaliste